Faisons, à regret, un pronostic : l'affaire Strauss-Kahn risque de pourrir jusqu'au bout la présidentielle, et singulièrement la campagne des socialistes. Trois jours après que la Première secrétaire du PS
(1) se soit déclarée officiellement candidate pour la primaire, des informations publiées par un grand journal américain mettait en avant les contradictions voire les mensonges de la femme de chambre qui accuse DSK de viol. Sur la base de quoi le procureur libérait l'ex-directeur général du FMI sans pour autant abandonner (pour l'instant?) les charges qui sont retenues contre lui.
Trois raisons expliquent, à mon sens, pourquoi cette affaire trouble va pourrir la vie politique. D'abord, et cela saute aux yeux de tout le monde, le calendrier judiciaire de M. Strauss-Kahn entrechoque celui de la primaire socialiste. Au moment (le 18 juillet) où le tribunal de New-York devra se prononcer sur la suite à donner aux accusations, tous les postulants à cette primaire auront dû se faire connaître. D'où la demande de quelques strauss-kahniens, un peu exaltés, de reporter la clôture des candidats. Proposition idiote car comment caler un processus collectif, vivement attaqué par la direction de l'UMP et compliqué à mettre en oeuvre dans de nombreux départements, sur un destin individuel, aussi exceptionnel soit-il?
Comment penser que DSK, si tant est qu'il soit lavé de tout soupçon (faut-il le rappeler, nous en sommes encore loin) se déclare, dans la foulée, candidat à la primaire, arrive à obtenir le retrait de Martine Aubry et obtienne un vote majoritaire du million de Français qui pourrait se déplacer en octobre ? Serait-ce d'ailleurs souhaitable ? La campagne de l'UMP en serait facilitée puisque le sexe à gogo et l'argent à profusion de l'ancien député-maire de... Sarcelles seraient brocardés par une droite qui se redécouvrirait morale. Et puis, il est à parier que la campagne se cristallise, au sein de l'électorat de gauche, non sur les propositions du socialiste DSK, mais sur la vie privée de l'homme et sa « consommation » de femmes (n'oublions pas que plusieurs témoignages, difficilement contestables, l'ont présenté autrement que sous les traits du latin lover qui plait tant dans nos contrées méditerranéennes). Sauf à considérer que certains socialistes sont plus importants que d'autres, et que -curieux argument – seul DSK peut battre Sarkozy, il faut banaliser l'affaire DSK, la laisser aux mains de la justice américaine et reparler politique.
Deuxième raison de ce pourrissement prévisible de la vie politique : la place prise par les révélations sur la vie privée. Je ne suis pas de ceux qui s'offusquent quand on met en cause tel homme qui ne fait pas que tripoter des pieds ou tel autre qui confond un peu trop les caisses de l'Etat et ses propres comptes en banque. Je me demande simplement s'il ne faudrait pas rétablir un peu de hiérarchie de l'info. Cette semaine, par exemple, le chômage (on parle des chiffres officiels dont le calcul est hautement critiquable) est reparti de plus belle. Cela a fait quelques petits titres, mais rien à côté de l'agression, exceptionnelle mais de faible gravité, du Président de la République. Qu'est-ce qui impacte le plus le quotidien des gens ? Un mauvais geste d'un « pov'con » (comme aurait dit, en d'autres temps, sa victime) ou la perte de milliers d'emplois ? Bien entendu, pour savoir le traumatisme d'une situation de chômage, il faut l'avoir vécu dans sa chair ou dans son entourage proche... Les tweets, le buzz sur la Toile et autres inventions, par certains côtés, géniales peuvent-elles porter du débat politique? J'en doute énormément. Le pire est, sans doute, à venir...
Troisième raison de ce pourrissement possible : le peuple français est de plus en plus réceptif à un discours qui ridiculise la politique puisque celle-ci salirait, serait source de corruption et, finalement, ne servirait pas à grand-chose. Si l'affaire DSK a passionné tant les Français à la fin du printemps, c'est qu'il est de plus en plus sensible à la dimension « trou de la serrure ». Comme la politique a perdu toute majesté, que beaucoup de promesses (du candidat Sarkozy, mais on pourrait parler des deux Présidents précédents pas vraiment exemplaires) sont enterrées après la prise du pouvoir, elle est banalisée comme une vulgaire émission de telé-réalité. Qui a couché avec qui ?, va devenir le jeu très à la mode. Il faut dire que les fréquentes liaisons sexuelles, conjugales ou non, entre politiques et journalistes très en vue, n'incitent guère, dans l'esprit du public, à séparer vie publique et vie privée.
Après quatre années de présidence Sarkozy, marquées par le triomphe du vulgaire et par l'absence de tout scrupule, la société française hésite entre délectation et écoeurement face à cet étalage. L'actuel Président et futur candidat pourrait en jouer, et c'est peut-être sa seule chance d'éviter la débâcle (car comment s'appuyer sur un bilan aussi maigre?). A la gauche, si elle ne veut pas décevoir une fois encore, d'oublier un peu DSK (il se défendra bien tout seul) et de s'intéresser à ce qu'elle n'aurait jamais dû quitter des yeux : la situation du peuple qui, comme dirait l'autre, a beaucoup souffert et veut plus ne plus souffrir (en tout cas un peu moins).
(1) Il faudra suggérer à Mme Aubry de conserver son sang-froid, surtout si elle représente l'opposition à M. Sarkozy. Comment parler de « fin du cauchemar » pour DSK alors que l'affaire n'est pas close ? Le terme de cauchemar, cette semaine, sonnait bizzarement: il pouvait s'appliquer aux 18 mois de captivité des otages en Afghanistan, à la situation de ce peuple pris entre les forces occidentales et les talibans, sans oublier, par exemple, la répression intense de la révolte du peuple syrienne... pas à la situation d'un prisonnier de luxe, ne manquant de rien et surtout pas du soutien de ses amis...
affaire qui monopolise toutes les attentions, qui alimente toutes les discussions en famille et les conversations de bistro? Alors, en parler, mais pour dire quoi? Essayons juste de proposer quelques éclairages avec le souci de dire ce qui nous semble juste, sans souci du politiquement correct mais sans volonté non plus de salir.
qui favorise (favorisait?) les notables locaux, la droite a dû abandonné entre deux et quatre départements (la Loire et la Savoie ont encore une issue incertaine) sans compter deux départements d'Outre-mer alors que l'UMP reprend un seul département (le Val d'Oise) en raison de la division locale, là où voici peu Dominique Strauss-Kahn faisait la pluie et le beau temps.
nce toute symbolique. La France était alors majoritairement rurale, avec une forte stabilité géographique et des réseaux familiaux très puissants. Voilà pourquoi des dynasties, radicales, conservatrices, se succédaient pendant des décennies. Mais avec la décentralisation, la montée du fait urbain, les profondes transformations sociologiques liées aux Trente Glorieuses puis à la crise destructrice, la figure du canton a perdu beaucoup de signification pour les moins de 60 ans. S'est superposé à cela la montée de l'intercommunalité qui a encore brouillé la lisibilité du rôle du conseiller général puisque sa circonscription correspond rarement aux limites des communautés de commune, et a fortiori d'agglomération. Aujourd'hui, nous avons deux fois sur trois des conseillers généraux inconnus des électeurs, désignés par moins de 15 % de ceux-ci (pour un élu à 52 % avec 30 à 35 % de participation). Il fallait modifier ce mode de scrutin complètement décalé avec le XXIe siècle, pas forcément en en finissant avec le département, comme l'avait souhaité la commission Attali (car le département joue un rôle utile en matière sociale, notamment). Deux pistes de réforme étaient envisageables. La première consistait à s'inspirer du mode scrutin des municipales dans les communes de plus de 3500 habitants : une élection à la proportionnelle avec une prime majoritaire à la liste arrivée en tête. L'autre, plus audacieuse, serait de prendre appui sur les structures intercommunales qui maillent maintenant tout le territoire, pour désigner des représentants au conseil départemental. Chaque scénario présente un inconvénient majeur: le premier de donner la part belle aux partis et aux logiques d'appareil ; le second de s'appuyer sur des structures encore jeunes dont la légitimité démocratique est contestable (puisque les élus de ces structures ne sont pas désignés directement par les électeurs). Au lieu de cela, le gouvernement a choisi une solution technocratique qui n'est pas gage de clarification avec un conseiller territorial, élu dans le cadre de super-canton qui siégera à la région et au département. C'est une façon de légitimer le cumul des mandats et surtout cela fragilise la vie des deux collectivités, notamment la région, puisque les élus seront plus porteurs des intérêts de leur petit territoire que du grand. Mais la gauche qui n'a su faire évoluer le système (pour ne pas mécontenter son réseau d'élus?) est mal placée pour critiquer, car l'anachronisme ne pouvait perdurer longtemps.
éliminer du second tour de la présidentielle; peur d'être accusé de « mollesse » par le FN sur les questions de sécurité et d'identité nationale (d'où les nouveaux dérapages verbaux du bien peu inspiré Claude Guéant) ; peur de se faire rappeler ses promesses non tenues de 2007 notamment sur le pouvoir d'achat et la valorisation du travail.
se qualifiant pour le second tour dans 400 cantons et en rendant chèvre l'UMP sur l'attitude à adopter à son égard, Marine Le Pen a dominé le jeu électoral. Les résultats du second tour, même s'ils ont pu décevoir les leaders du FN – et rassurer les démocrates – doivent être regardés attentivement. Du premier au second tour, ses candidats ont gagné près de 300 000 voix alors même que la participation a faiblement progressé. Cela veut dire que le FN a des réserves de voix et peut encore progresser. Un sondage publié dans la dernière édition de Marianne sur les abstentionnistes indiquait qu'environ un tiers d'entre eux, s'ils se déplaçaient, pourraient voter pour le FN (contre environ 15% pour l'extrême gauche et le reste pour les partis de gouvernement). Pour la première fois de sa déjà longue histoire, le FN mord sur le coeur du monde du travail, à travers quelques responsables syndicaux locaux (CGT, CFTC, CFDT et même Sud) qui ont pris le dossard FN pour ce scrutin. Cela était totalement inimaginable voici une dizaine d'années car le FN apparaissait alors comme un parti pro-patronal. Dans une France qui se déchaîne contre les privilégiés du CAC-40, qui voue aux gémonies les banquiers et le monde de l'argent, Marine Le Pen apparaît être un espoir pour une fraction non négligeable qui reste sur le bas côté de la mondialisation. Non pas pour qu'elle assume des fonctions politiques de premier plan (qui y croit vraiment?) mais pour qu'elle « foute la frousse à ceux d'en-haut ». La fracture élite/peuple qui était apparue clairement lors du référendum européen de 2005 s'accentue, et même si le Front de gauche récolte quelques dividendes, c'est d'abord le FN qui en fait son beurre. A refuser de voir cette réalité en face, la classe politique se condamne à des gueules de bois à répétition.
qui savent se rendre utiles à la population? Sans doute un peu les deux.
uation politique française au lendemain d'un premier tour d'élections cantonales calamiteux, au regard de l'abstention massive (plus de 55 % et parfois dans certains quartiers populaires de près des deux tiers) et de l'implantation des thèses de Marine Le Pen. Celle-ci dipose certes d'une présence militante du Front national encore limitée, mais dans n'importe quel canton, il lui suffisait de présenter un inconnu - jeune, vieux, homme, femme : aucune importance -, de l'affubler d'un portrait de la chef du FN pour rassembler à coup sûr 8 à 10 % et, si le terreau était fertile (délocalisations, quartiers sensibles abandonnés, frontières terrestres proches), multiplier le jackpot par deux ou trois.
second tour? A l'UMP, c'est la cacophonie. La ligne Copé/Sarkozy, suivie par l'essentiel de l'appareil, est finalement celle du candidat communiste Jacques Duclos en 1969 (cela ne nous rajeunit guère...) disant, à propos du duel Poher-Pompidou, avec son accent rocailleux : « Bonnet blanc et blanc bonnet! ». Mais là, l'affaire est plus compliquée car il ne s'agit pas de choisir entre un néo-gaulliste de droite et un néo-démocrate chrétien de centre-droit, mais entre un candidat de gauche et un candidat épousant, qu'il le veuille ou non, les théses de l'extrême droite.